La Compagnie

Philosophie

« Entrer en scène c'est se donner absolument. » - Olivier Py -

Le travail de création de la compagnie

- Bruno Emsens -

« Quelle présence ! », dit-on d’un acteur qui nous a touchés. Nous travaillons cet art de la présence : être là, proche de soi-même et les yeux grands ouverts sur le monde. Le plateau peut en être le catalyseur s’il constitue un espace protégé du monde extérieur et muni de ses propres conventions.

La période des répétitions est alors une descente en soi-même, que nous parcourons ensemble, acteurs et metteur en scène, souvent accompagnés par l’auteur qui nous a précédés dans cette démarche et dont le texte peut nous servir de guide. Elle nous désengourdit, nous sort de l’anesthésie après avoir réduit les peurs et débranché la cuirasse de l’intellect. Elle nous conduit à cette présence à soi et aux partenaires.

L’acteur se donne alors à voir, généreusement et sincèrement. Ce qu’il donne à voir n’est pas l'acteur lui-même, avec telle ou telle particularité, mais plutôt ce qu'il a en commun avec nous et qui parle de nous. L’acteur nous murmure : « Ce que vous êtes, ce que vous faites, je le sais, vous pouvez le voir et l'entendre sur cette scène, et vous n'avez donc plus d'excuse pour vous refuser à le méditer pour votre propre compte... » (A. Badiou & N. Truong, Eloge du théâtre). Cette méditation fait du bien, elle dénoue les tensions du quotidien en renouant avec soi-même. C’est tout le contraire du divertissement qui tend à nous distraire pour s’oublier le temps d’un spectacle.

Sans distraire donc le spectateur, notre ambition est bien de le faire rire, ou pleurer, ou éprouver toutes sortes de sentiments et de pensées. Il y aurait dans ce rire, par exemple, une sorte de complicité avec les choses telles qu’elles sont, aussi ridicules ou sordides soient-elles ; il y aurait aussi de l’émerveillement devant d’autres choses, toujours telles qu’elles sont, pleines d’une beauté qui nous avait échappé. En un mot, nous voulons un théâtre qui nous peuple de l’intérieur, un théâtre où l’on ne serait plus seul.

Comme tout est signifiant au théâtre, la scénographie, les costumes, la lumière et le son, tout doit concourir à notre objectif. Il ne s’agit pas d’aspirer à la perfection, mais à l’exactitude, ce qui implique rigueur et discipline. Comme le disait déjà Artaud, nous voulons développer un langage d’une autre nature dont la source serait prise à un point encore plus enfoui et plus reculé de notre être ; le geste en serait la matière première, il partirait de la nécessité de parole beaucoup plus que de la parole elle-même. Cette nécessité guide nos choix de mise en scène. Enfin, notre défi est de porter cette intimité, non seulement dans des petites salles, mais aussi pour de plus grandes jauges. Il nous faut atteindre le spectateur où qu’il se trouve, très proche ou assez lointain. Ce défi est au cœur de nos recherches actuelles.